Visites des mines de Potosi, Bolivie
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© Texte et Photos : MJX, sauf indication contraire.
Par Michal Svoboda
vue aérienne du Cerro Rico et de Potosi ( photo "Mineralogical Records" 1999)
Aujourd’hui la majorité des Belges ne connaissent pas Potosi. Pourtant, ville impériale minière Potosi était au 17ème siècle avec ses 200.000 habitants la plus grande ville de l’Occident ! Elle était donc plus grande que Londres ou Paris de l’époque! D’autre part l’expression encore actuelle « cela ne vaut pas le Pérou » est à l’origine l'expression espagnole « vale Potosi » (« vaut Potosi »). En effet, le territoire de la Bolivie s'appelait avant l'indépendance le "Haut Pérou".
En fait Potosi est le nom d’une ville qui a donné son nom à un des neuf départements boliviens. La ville de Potosi est bâtie en contrebas de la montagne « Cerro Rico »; la « Montagne Riche » son sommet est à 4824m. Le centre de Potosi est à 4090m ce qui fait de Potosi la ville la plus haut du monde, plus haut que Lhassa au Tibet. L'argent à Cerro Rico aurait été découvert au temps précolombien (en 1462) mais les Incas n'auraient pas osé l'exploiter. Le filon d’argent affleurant la surface fut redécouvert en 1545 par un indien qui cherchait des lamas égarés. Les Espagnols ont commencé rapidement exploitation de cette veine d’argent la plus pure de la planète constituée d’un mélange d’argent natif et de chlorargite.
Cerro Rico vue de la fenêtre de mon hôtel en novembre 2002 (photo MSA)
Par ordre de Charles V, Potosi est devenu une ville impériale. C’est à Potosi qu’on frappait la monnaie pour toute l’Amérique espagnole. Le roi recevait 20% de tout l'argent de Potosi, ce qui faisait en moyenne 25% du revenu royal. Donc un quart des revenus de cet immense Empire (qui à l'époque englobait aussi la Belgique) venait de cette unique montagne. Ainsi l’Espagne, qui a cherché auparavant en vain dans toute Amérique le pays mythique « El Dorado », est quand même devenue très riche, mais pas avec de l'or de « El Dorado », mais grâce à l'argent de Potosi. Les Espagnols étaient alors très riches. Trop riches probablement. Tellement riches avec l’argent qui lui tombait ainsi du ciel ou plutôt du Cerro Rico que les Espagnols se contentaient de vivre de leurs rentes plutôt que d'innover. Ils préféraient prêter de l’argent aux Anglais, qui eux innovaient! Ainsi la Première Révolution Industrielle » fut financée par l’argent de Potosi et le centre du pouvoir de la planète fut déplacée de Escorial à Buckingham.
Pour sortir tout cet argent de la montagne, il fallait bien sûr les mineurs : Les Espagnols ont imposé le travail obligatoire dans la mine. Ils se sont basés sur la coutume inca de travail obligatoire pour la communauté appelé "la mita". Chaque village ou chaque famille devait fournir un certain nombre de jours de travail. En fait, durant "la mita", on laissait les Indiens, durant quatre mois en permanence dans la mine, où ils travaillaient 12h par jour. Dans les conditions de l’époque (et même dans les conditions d’aujourd’hui), on ne résiste pas longtemps aux travaux des mines de Potosi: on estime à plusieurs millions le nombre de personnes mortes dans les mines ou à cause de la mine. Notamment à cause de la silicose et à cause de l’empoisonnement par les vapeurs de mercure, utilisé pendant la seconde période d’exploitation pour amalgamer l’argent.
Au début de 19ème siècle, après les guerres contre les Espagnols, la Bolivie est devenue indépendante et assez chaotique. Les principales veines d'argent étaient épuisées. De plus le prix de l'argent a diminué. Ainsi, les mines de Potosi étaient abandonnées et le nombre d'habitants de Potosi est descendu à 10 000. Les activités ont repris progressivement à la fin de 19ème siècle avec d'autres minerais, surtout le minerai l'étain. Les mines appartenaient alors aux "barons d'étains" et la Bolivie produisait la moitié de l’étain mondial.
Après la révolution de 1952 les mines étaient nationalisées, ils devenaient monopole d'Etat (COMIBOL). Le nombre de personne travaillant plus ou moins directement pour les mines était très important. Dans les années 1990, la plupart des mines d'Etat furent fermée, mais une bonne partie ont été réouvertes sous la forme de coopératives. Toutefois le nombre de personnes travaillant pour la mine a chuté et la ville s’est dépeuplée. A l’apogée de mines d’argent il y avait plusieurs milliers de mines dans le Cerro Rico. Aujourd’hui il reste tout de même plus de 300 mines en activité, exploitant l'un ou l'autre minerai selon les prix du marché. Cependant les étages les plus profonds ne sont plus exploités, car leur maintien nécessiterait des frais de fonctionnement trop importants.
J'ai visité la première fois les mines de Potosi en décembre 1999. J'étais déjà depuis quelques semaines en Bolivie à Cochabamba. Donc à 2500m d'altitude. Cette acclimatation facilite la visite de Potosi! Mais pour aller seul à Potosi il valait mieux parler espagnol. Or, à l’époque, je ne le parlais que peu. Par chance, le mari d’une de mes élèves, qui vivait à 3h de Potosi et qui parlait français, allait me servir de guide pour cette première visite. Seconde fois je suis retourné seul à Potosi en décembre 2002: Si on parle l’espagnol et si on connaît un minimum les coutumes du pays, voyager seul à Potosi ne pose aucun problème.
Pour ces deux voyages j’ai pris d’abord l’avion Cochabamba-Sucre, 35 minutes de vol en Boeing 727 et 100 Euros pour l'aller-retour. L’autre alternative, c’est douze heures en bus. Il faut en effet douze heures (de nuit) pour franchir les 350 km de mauvaise route de montagne que sépare Cochabamba de Sucre.
Sucre est la capitale constitutionnelle de Bolivie, mais à part les Boliviens, personne ne le sait, car le gouvernement et les ambassades siègent à La Paz. Sucre est une jolie ville style colonial, avec nombreuses Universités et une vie estudiantine. De Sucre à Potosi il y a une bonne route goudronnée, une des rares bonnes routes en Bolivie. Il y a des taxis qui ne font que Sucre-Potosi. S’il y a trois personnes dans le taxi, cela revient à 15 Euros par personne.
Sucre est à 2800m. Pendant le voyage la route descend d’abord pour traverser une vallée chaude et presque tropicale qui sépare les deux départements (Chiquisaca et Potosi), avant de remonter sur la plaine de l’altiplano à 3500m. Aux abords de l’Altiplano c’est ainsi : Les montagnes sont en bas, et en haut c’est le plat pays, avec les champs de blé et des patates comme au Pajottenland. La route traverse d’abord les plaines cultivées, puis ce sont à nouveau les montagnes plus arides. Enfin on voit Cerro Rico et on descend dans le centre de Potosi.
Potosi est en pente : Attention, à pied on descend facilement. Par contre la première soirée ce n’est pas facile de remonter la pente à pied : on est tout de même à plus de 4000m. Pour la même raison, on a des difficultés pour se réchauffer dans les couvertures de l’hôtel (et le chauffage n’existe pas dans la très grande majorité des maisons). Pour remonter la pente la première journée, il vaut mieux prendre un taxi, cela revenait à 50 cents par personne (en Bolivie on paye le taxi par passager, c’est bizarre mais c’est ainsi).
L'allure du centre de la ville provoque la première surprise: si les grandes bâtisses et les églises sont d'un riche style colonial, le centre commercial de la ville a plutôt des allures allemandes. La première fois d’ailleurs, nous sommes allés avec mon guide à une fête à Potosi: on buvait de la bière et on mangeait des saucisses… En fait, pendant la guerre Chaco entre la Bolivie et le Paraguay (en 1936), les Anglais soutenaient le Paraguay et les Boliviens ont donc dû accepter le soutient de l’Allemagne. C’est à Potosi que siégeait l’état major allemand. Certains y sont revenus après la guerre.
La visite des mines prend plus d’une demi-journée. On peut faire des visites plus faciles et meilleur marché, mais il vaut mieux se payer un guide qui est un mineur encore actif et prendre tout son temps. La première fois on était en groupe de 8 personnes pour 8 Euros par personne. On devait suivre le rythme de la visite. La deuxième fois, j’ai négocié à l’avance avec le guide-mineur pour pouvoir m’arrêter où il me plairait et le temps qu’il me plairait. On n'était qu’à trois, et cela revenait à 30 Euros chacun, mais de 9 h à 15h on faisait ce qu’on voulait. Il est à noter que ce n’était pas les mêmes mines.
Lors des deux séjours, on est d'abord monté en bus local du centre ville au "marché des mineurs". En fait, c’était plutôt une zone avec les boutiques qui vendent les articles pour mineurs. Marché étonnant: dans toutes les boutiques on vend librement tout ce dont les mineurs ont besoin: des pioches, des barres à mines, du carbure pour les lampes, de la dynamite et autres explosifs industriels.
En premier lieu on se change dans une maison qui appartient à la coopérative : on met des vêtements, des bottes et des casques. On prend les lampes à carbure. Puis on doit acheter les cadeaux pour les mineurs: ils sont superstitieux et n’acceptent pas l’argent, par contre ils apprécient les cigarettes, les feuilles de coca et la dynamite. Un bâton de dynamite, un mètre de mèche lente et un détonateur revient à seulement 50 cents. Pour 1 Euro on a un grand sachet des feuilles de coca. Les feuilles de coca, il en faut pour les mineurs et pour soi-même!
Une fois les achats terminés, on reprend un autre minibus pour arriver le plus près possible des mines. L’entrée des mines les plus basses (niveau 0) sont à 4200m d'altitude. La première fois il nous fallait encore remonter à pied un dénivelé d’une cinquantaine de mètres. Le groupe en avait déjà le souffle coupé! Ainsi, pendant qu’on mettait dans les lampes du carbure frais, le mineur guide nous indiquait comment mâcher les feuilles de coca. Il nous conseillait vivement de commencer immédiatement à mâcher. Ce que faisait mon guide bolivien depuis le matin. Il est à noter qu'on m’avait donné les mêmes conseils à la Faculté de Médecine à Cochabamba. Toutefois, pour commencer, me méfiant je n’ai mis que quelques feuilles de coca en bouche.
La première visite était dans une mine qui exploitait à ce moment-là une veine de minerai de bismuth. L'entrée de la mine était maçonnée, ce qui est rare et indique que la mine date de temps ancien, peut-être des Espagnols. Il y avait des rails et toutes les 10 minutes sortait un wagonnet de minerai avec un adolescent à l’arrière. Les wagonnets sortaient vite, car le couloir principal était en petite pente, l'adolescent était là pour freiner. Le couloir d'entré était étroit, et il n'y avait par endroit que la place pour laisser passer le wagonnet. On nous expliquait que si un wagonnet arrive, on doit vite courir et trouver l'endroit plus large de corridor pour le laisser le passage au wagonnet, car lui ne s'arrêtera pour nous.
Nous sommes arrivés à l'endroit de chargement des wagonnets, deux mineurs tiraient sur une poulie un gros sac de cuir remplie de minerai qu'ils transféraient dans le wagonnet. Plus tard on a vu que le sac avait été chargé deux étages plus bas par d'autres mineurs, avec des pelles comme seuls instruments.
On s’enfonçait plus profond dans la mine. Dans certaines galeries on avançait à quatre pattes. Dés que l’on quitte la galerie maçonnée, on voit partout sur les parois des fines veines de minerai. Dans les vieilles galeries il y a beaucoup de minerais secondaires souvent colorés. Des parois entières très colorées. Très jolis! Mais on n’avait pas trop le temps d’admirer tout ça, car il fallait avancer. De plus en plus difficile car il faisait de plus en plus chaud. Or on était bien habillé, car dehors il avait fait très froid le matin. A l’intérieur dans certaines galeries il faisait plus de 30°C. On nous avait dit que la température élevée dans cette mine était due à l'oxydation des minerais (surtout des arséniates).
Nous n'en pouvions plus, quand on est heureusement arrivé près de "El Tio". Nous pouvionst donc souffler un peu. Là, tout le monde a bien rempli sa bouche de feuilles de coca. Pendant que nous mâchions, on nous donnait des explications sur la mine et la signification de "El Tio" (tonton). Chaque mine en possède au moins un ; souvent un "El Tio" par étage. Tous les mineurs sans exception, chaque fois qu'ils entrent dans la mine, et chaque fois avant qu’ils en sortent, ils passent donner des offrandes à "El Tio". Les offrandes sont surtout des feuilles de coca, des cigarettes et de l'alcool. En fait, quand les missionnaires évangélisaient les indiens, ceux-ci se sont dit que dans la mine ils sont plus proche du Diable que de Dieu. "El Tio" est donc un statut de diable. On le place dans une galerie sans issue. C'est "El Tio" le propriétaire des lieux et le patron de la mine. Il faut être en bons termes avec lui pour éviter les accidents et trouver une bonne veine. Pour éviter les accidents, il faut aussi, durant les grandes fêtes annuelles, badigeonner les entrées de la mine avec le sang des lamas, ceci pour éviter devoir verser le sang humain.
On s’est remis en route, reposés et ravigotés. On descendait d'un étage à l'autre en glissant sur son derrière dans les galeries fort pentues. Parfois on passait juste à coté d'un trou non protégé qui descendait à la verticale plusieurs étages. Il faut impérativement regarder où on marche: Parfois il y a des touristes qui tombent dedans… Heureusement que les lampes à carbure donne une bonne lumière pendant des heures et ne s'éteignent pas dans les courants d'air.
Pour remonter dans la galerie principale, on montait sur des grandes échelles en bois qui manquaient souvent de marches. Monter était très pénible, dans la chaleur et dans la poussière à 4200m au-dessus de la mer. Une jeune fille du groupe s'est arrêtée plus de 10 minutes nous bloquant sur l'échelle car elle n'en pouvait plus. Heureusement que les feuilles de coca étaient là. Je pense en effet, que sans les feuilles de coca, moi, ainsi que la majorité des personnes de notre groupe, n'aurions pas pu terminer la visite des mines. Sans ces feuilles, il faudrait une acclimatation de plusieurs jours à 4000m avant de pouvoir fournir un tel effort.
Michal dans les mines de Cerro Rico avec la lampe à carbure en novembre 2002 (photo MSA)
Bref quand nous sommes sortis, nous avons eu l'impression d'avoir vécu une grande aventure, fier de nous d'avoir pu le supporter. Pour terminer, notre guide a rassemblé deux bâtons de dynamite qui restaient pour nous montrer l'effet quand on les fait exploser à l'air libre, à une distance d'une cinquantaine de mètres (j'en avais gardé un bâton pour faire la même chose moi-même, plus tard dans l'après-midi): le bruit d'une telle détonation n'a rien à voir avec la déflagration d’un pétard…
explosion de dynamite sur le flanc de Cerro Rico en novembre 2002 (photo MSA)
La seconde fois j'étais dans une mine qui exploitait du zinc et de l'argent. J'avais eu tout le temps de prendre des échantillons dans les différentes veines. J'avais essayé de travailler avec une barre à mine pour creuser un trou pour la dynamite, j'ai vu deux "Tios". Certains échantillons présentent une cristallisation: petits cristaux transparents jaunes ou rouges (probablement la sphalérite, ZnS). Selon les mineurs on ne trouve qu’exceptionnellement des grands cristaux. En fait, il est assez difficile d’obtenir par les mineurs des renseignements au sujet des minéraux. Ils reconnaissent les minerais d'un coup d’œil que ce soit un minerai d’argent ou de zinc. Ils savent que certains étages sont plus riches en certains minerais que d’autres, mais ils connaissent surtout leur mine à eux. Je n’avais donc pas de donnés minéralogiques ni géologiques. Ce n’est que récemment, quand je commençais la rédaction de cet article, que notre Président, M. Roger Leemans m’a indiqué qu’il y avait un article sur Potosi dans le « Mineralogical Records » (numéro 1 de 1999) et il me l’a gentiment prêté.
Je peux donc vous confirmer que c’est dans la partie supérieure de Cerro Rico appelée «la zone des oxydes » que l'on trouvait de l’argent natif (Ag) et chlorargyrite (AgCl) et cassitérite (SnO2). Dans la partie inférieure appelée « la zone des sulfures » on trouvait par exemple pyrite (FeS2), chalcopyrite (CuFeS2), tetrahédrite (Cu12Sb4S13), galène (PbS), pyrargyrite (Ag3SbS3), arsenopyrite (FeAsS). Dans la zone centrale on trouvait bismutinite (Bi2S3) et wolframite ([Fe,Mn]WO4). Mais la revue confirme que les beaux cristaux sont rares.
Font eExceptions les beaux cristaux bleu-vert transparents de phosphophyllite (Zn2Fe(PO4)2.4H2O). Ce dernier minéral, découvert à Cerro Rico dans les années 50, servi d’abord comme le jouet des enfants des mineurs. Comme il était par la suite fort apprécié des collectionneurs, il était commercialisé par le directeur en chef de COMIBOL. On le trouvait dans les étages plus profonds (entre -7 et -10), les étages fermés depuis 1996.
Les mineurs de Potosi travaillent beaucoup pour peu d’argent en espérant tous les jours tomber sur une veine qui les rendra riches. En effet, comme il s’agit de coopératives privées, la personne qui trouve une veine garde une très bonne part des revenus de la veine. Cela les motive bien plus que de travailler dans les mines d’Etat. Bien sûr cela n’arrive qu’exceptionnellement. La dernière fois une veine très riche en pyrargyrite (Ag3SbS3) et miargyrite (AgSbS2) a été découverte par hasard en 1998. Le mineur qui l’a trouvé est devenu vraiment très riche. Les veines plus petites, mais qui permettent de payer sa maison, sont trouvées plus souvent. Toutefois pour la majorité de mineurs, cela n’arrivera jamais.
Il est sûr que tant que les mines de Potosi resteront exploités par des petites coopératives privées, on pourra encore voir de très près l’intérieur des mines de style 19ème. Par contre, si des grandes sociétés internationales mettent la main dessus, comme cela est arrivé dans plusieurs localités boliviennes, il y a beaucoup de chance que l’intérieur de la mine change, et que les visiteurs ne soient plus les bienvenus.
Remerciements: Je tiens à remercier notre président pour le prêt de la documentation minéralogique et géologique sur Cerro Rico. Mes remerciements vont également à Mme Michèle Authelet pour la patiente correction de ce texte.
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